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Ce détournement de valeur est justement la nouvelle lubie de M. Sarkozy. Après avoir été le candidat de la "rupture", puis celui de la "rupture tranquille", Nicolas Sarkozy se cherche et se positionne aujourd'hui en candidat "hors système" (alors qu'il est fils d'aristocrate assujetti à l'ISF, ami de tous les plus riches de France, et partie prenante de ce gouvernement depuis des lustres…). Avant son prochain revirement pré-électoral, il racole les petits salariés et centre sa campagne sur le travail et le pouvoir d'achat obtenu par plus de travail (alors qu'il manque toujours des millions emplois pour permettre à chacun d'en vivre, et que le salarié consommateur peut aller se brosser).
"Je suis le candidat du travail", a-t-il martelé à l'occasion d'une visite matinale au marché de gros de Rungis devant des salariés inquiets, mal payés, de plus en plus tentés par un vote protestaire. "Je ne plaide pas pour plus d'assistanat mais pour plus de travail", a-t-il répété pour mieux dresser les salariés contre les exclus de l'emploi, ces fainéants qui font si peur à ceux qui ont la chance d'être toujours en poste, miroirs dérangeants d'une insécurité sociale qu'ils craignent de subir eux-mêmes, à moyen ou court terme. La stratégie du bouc émissaire.
Soucieux de "décomplexer la droite" (qui, entre nous, n'a jamais été complexée pour donner aux riches ce qu'elle prend aux pauvres), Nicolas Sarkozy y va de sa métaphore en expliquant que pour faire passer un message il faut "aller un peu trop loin", comme on "étire un muscle pour l'assouplir... Ça fait mal, mais après ça revient en place." Alors oui, si Nicolas Sarkozy est le candidat du travail, il n'est certainement pas celui de ceux qui bossent : pour sûr qu'avec lui les salariés ne seront pas déçus quand il œuvrera à la destruction de leurs droits, à la précarisation et à la smicardisation de la population active, au démantèlement de la protection sociale et des retraites. Oh oui : ça va faire mal ! Sauf pour les amis de M. Sarkozy qui vont, eux, s'enrichir sur la sueur des autres.
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Commentaires
Une usine de carte postale, avec sa fonderie, son vacarme, ses ouvriers en bleu de chauffe et leurs gestes répétitifs. Sur ces terres ouvrières de l'Aisne, «Arlette» Sarkozy a poursuivi hier son offensive en direction des «travailleurs» , comme il dit désormais. Son postulat : «La gauche les a trahis et abandonnés.» Pour les récupérer, il tente de les séduire en s'appropriant ses codes, ses références historiques et ses grandes figures. Sans oublier de promettre du pouvoir d'achat supplémentaire à coups d'heures supplémentaires défiscalisées.
A l'usine du Creuset qui fabrique des casseroles en fonte, l'homme de Neuilly s'est mijoté un langage popu : «A l'usine, il n'y a pas de bureau, il y a une solidarité. Les anciens apprennent aux plus jeunes. S'il n'y a plus de jeunes c'est foutu, moi je veux des usines. Si on laisse partir les usines, on laisse tout partir.» Lui qui souhaite vider l'ISF de sa substance flingue les 35 heures et propose à son auditoire de travailler plus. «Vous savez, ici on se soutient sur les grandes avancées sociales. Une majorité de gens ici aurait préféré une visite plus Royal…», lui répond un syndicaliste.
Fort de l'avance que lui accordent les sondages parmi les classes populaires, le candidat de l'UMP veut pousser son avantage en dépouillant la gauche de ses totems. A François Hollande qui l'accusait de «captation d'héritage» pour avoir cité Blum et Jaurès, Nicolas Sarkozy a répondu hier soir lors d'une réunion publique qu'il se sentait «l'héritier d'une seule et même Histoire dont nous avons toutes les raisons d'être fiers». Provocateur, il a même accusé le couple Hollande-Royal de «n'avoir jamais lu Jaurès». Et d'accuser de «communautarism e historique» la gauche qui «proclame» que l'Ancien régime, les Croisades, la Chrétienté et la droite, «ce n'est pas la France». Tout à son souci de gommer les frontières entre gauche et droite, il a ajouté Mitterrand à ses références : «Il ne trahissait pas la gauche quand il allait parler de la mort avec Jean Guitton ou de littérature avec Jean d'Ormesson.» Sarkozy thuriféraire des hommes de gauche ? Comme dit son slogan, avec lui «tout devient possible».
(Source : Libération du 26/01/07) Répondre | Répondre avec citation |
• Nicolas Sarkozy, TF1 le 14 janvier 2007 : « … que le travail ça vaut quelque chose… parce qu’on travaille pas assez, parce qu’il faut donner davantage de travail… je veux remettre le travail au cœur de la société, je veux que les gens se disent mais ça vaut le coup de se donner du mal puisqu’on en a la récompense… »
• François Bayrou, France Info, 18 janvier 2007 : "Nous devons mettre fin au découragement et au désespoir de ceux qui ne peuvent plus regarder leurs voisins parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi".
• Olivier Besancenot : Programme Site internet : «L’emploi, le pouvoir d’achat, le logement, les services publics, les mesures frappant la jeunesse sont des questions brûlantes pour lesquelles nous avançons des propositions.»
• Marie-Georges Buffet : «D’abord, éradiquer le chômage.» Premier des quatre chantiers détaillés sur le site internet du parti communiste.
• Ségolène Royal a également expliqué qu'elle avait «commencé (sa) vie en n’ayant rien, donc c’est le fruit de mon travail», précisant que son patrimoine à l’issue de «30 années de vie professionnelle » est de «355.000 euros» (Libération 17 janvier 2007).
La valeur travail est mise en avant partout et devient un thème principal de campagne électorale. On l’associe à l’argent reçu en récompense, comme fruit de son labeur. Quand le fruit de son travail est l’argent que l’on récolte, toute richesse est sensée être justifiée par son travail. Ainsi, nous prenons des formules clichés telles que «plus je travaille, plus je suis riche», «travailler plus pour gagner plus» pour des vérités qui servent à justifier la valeur travail mais surtout la valeur argent.
Quand on y rajoute la valeur liberté, la notion de travail se transforme en choix : si je le veux bien, je travaille plus et ainsi je gagne plus d’argent ; si je ne le veux pas, je ne travaille pas et je ne gagne pas d’argent.
Sauf que le travail tel qu’il est conçu depuis quelques décennies implique l’existence d’un contrat de subordination entre le salarié et l’employeur. Cette liberté évoquée est la liberté que donne l’employeur au salarié de travailler, voire de travailler plus - lire Le salarié au sifflet -, sachant que cette liberté a un coût pour l’employeur.
Une liberté qui est liée à un paramètre de gestion est-elle une vraie liberté ? La liberté qui s’octroie à une personne par une autre personne, selon son bon vouloir, ne peut être qu’une aliénation. La seule liberté possible est celle que l’on s’octroie soi-même et que l’on confronte avec la liberté d’autrui.
Si l’on associe la notion de travail à sa valeur, toute personne qui a un emploi devient un "valeureux travailleur"… et s’il n’en a pas, dans une société qui a un taux de chômage relativement important, il peut, à défaut, être un "valeureux chercheur"… à la condition qu’il soit un «véritable» chercheur, c’est-à-dire un chercheur qui cherche réellement du travail. Il se différencie du chercheur qui ne cherche pas vraiment du travail, qui n’est pas un individu valeureux (nombre de personnes indemnisées par l’Assedic ont été radiées - sanctionnées ? - de l’allocation chômage parce qu’elles n’avaient pas une recherche d’emploi «convaincue» ! ).
Le "demandeur d’emploi" est bien devenu un "chercheur d’emploi ". Une demande implique une réponse à fournir car elle s’adresse à quelqu’un, une recherche n’engage que le chercheur… Un chercheur a-t-il un devoir de trouver ? Ou toute recherche se suffit-elle à elle-même ? Devons-nous appliquer à toute recherche d’emploi la formule "qui cherche trouve" ?
Les critères de recherche d’emploi réelle et convaincue existent. Une recherche d’emploi réelle est, par exemple, définie par un ou des contrats intérimaires sur une période déterminée. Autrement dit, une personne qui cherche réellement un travail… trouve du travail.
Alors que chercher un travail pourrait se suffire à lui-même, paradoxalement, c’est bien avoir un travail qui se suffit maintenant à lui-même car c’est bien le but ultime (peut importe les conditions selon lesquelles il est effectué) de cette recherche d’emploi. Nous connaissons la formule "tout plutôt que le chômage".
Ainsi, celui qui cherche réellement un travail (qui est valeureux) et qui n’en trouve pas ne peut accepter ce fait qu’en le nommant malédiction, calamité, voire punition. Ainsi des milliers (des millions) de personnes se sont auto-jugées méprisables et inadaptées parce que subissant un grand malheur. Prêtes pour la condamnation et la mise à l’écart. Prêtes pour l’obéissance aux règles les plus absurdes de la société (prouver sa demande d’emploi par exemple alors que celle-ci n’est en fait qu’une offre de travail ! ).
N’est-il pas nécessaire d’en finir avec cette réalité qui fait fuir la pensée ? Car penser «ceux qui travaillent sont valeureux et ceux qui ne travaillent pas ne sont pas valeureux» est le degré zéro de la pensée. Ou le degré suprême d’une idéologie qui se veut dominante.
Celui qui travaille (qui n’est pas au chômage) n’est pas plus "en faveur du travail" que celui qui ne travaille pas (qui est au chômage). Celui qui est au chômage n’est pas "contre" le travail, pas plus que celui qui n’est pas au chômage.
Au-delà des promesses électorales et des slogans de campagne présidentielle, questionner la valeur travail doit devenir une réalité réelle de notre collectivité, pour que des politiques éclairées puissent envisager des modes de fonctionnement progressistes.
Si la valeur travail est fondamentale, si le travail doit être «revalorisé», si l’être humain aujourd’hui respecte vraiment le travail, il doit alors refuser tout CDI ou tout autre contrat, sauf si celui-ci lui permet de gagner assez d’argent pour se loger, se nourrir, se chauffer, s’habiller et avoir une vie sociale. Gagner moins, en travaillant, que ce qu’il faut pour se loger, c’est, de toute façon, vivre dans d’horribles souffrances.
Refuser un travail qui ne permet pas de vivre dignement, ce n’est pas être paresseux, amoral, associable, inadapté, exclus, non, refuser un travail aujourd’hui, si celui-ci ne vous permet pas de vivre en dessus du seuil de pauvreté, c’est être quelqu’un de digne et de respectable au contraire.
La société déverse sur les épaules du chômeur tout le mal être de son époque. La seule solution, pour que l’issue ne lui soit pas fatale, c’est que celui que l’on dit chômeur, donne une issue à ce mal être. Qu’il soit créateur de sa vie, qu’il devienne artiste en fait.
Parce qu’il ressent dans tout son corps et son mental comme une calamité, parce qu’il a cette connaissance-là, tout chômeur aujourd’hui est déjà un artiste. A une seule condition. Qu’il ne se sente pas coupable de ne pas avoir un travail… car il a aussi… un travail : celui de questionner la valeur travail.
Refuser un travail qui ne nous convient pas n’est pas refuser de travailler, c’est juste (re)trouver sa dignité. Quand le travail n’est plus que l’objet d’une quête, qui exige l’abandon d’une partie de nos exigences (ce que nous estimons essentiel à notre bien-être), pour enfin trouver le salut, ce n’est plus un travail que l’on est susceptible de trouver mais l’abdication de sa propre liberté. Quand la "liberté de travailler plus" n’est plus que la liberté de s’attacher à chercher, à toujours chercher plus, chercher mieux, au prix de notre autodépréciatio n, cette liberté-là n’est plus qu’une dépossession. Quand la seule espérance c’est de correspondre au bon profil, de quelle liberté parle-t-on ?
Refuser un travail qui ne nous convient pas, refuser un travail qui n’est pas essentiel à notre bien-être, ce n’est pas refuser de travailler, c’est aider la société à ne pas atteindre son point de non-retour, celui où l’individu s’autocontrôle inconsciemment et en permanence alors que le mot d’ordre des dirigeants est la liberté.
Lamido Répondre | Répondre avec citation |
A ceux qui bossent, N. Sarkozy promet «de gagner plus en travaillant plus». Quand on pense que depuis près de 10 ans, chaque rapport de l’OCDE souligne la forte productivité française du travail, l’une des meilleure des pays riches, dernièrement établi que le temps consacré par les Français au travail reste dans la moyenne annuelle mondiale. Quand on constate que le niveau de formation et de compétence des salariés français est un des meilleurs de la planète, que les créateurs sont suffisamment motivés pour porter, encore cette année, le taux de création d’entreprise à des niveaux records, faisant de ce pays le 2ème exportateur européen derrière l’Allemagne, où les projets d’investissemen t extérieurs sont de plus plus nombreux, l’un des investisseurs les plus actifs à l’étranger.
Pays d’assistés à l’économie sclérosée alors que même Le Figaro se demande ce qui attire de plus en plus d’entrepreneurs étrangers à s’installer dans l’hexagone (120.000 cadres, 7.200 chercheurs et 256.000 étudiants étrangers).
Travailler plus pour gagner plus, disais-je, quand la précarité à doublé en 20 ans et qu’un ménage sur trois vit avec moins de 1.800 € par mois. L’on se demande, en quoi le fait de travailler davantage aurait une incidence sur nos salaires, voyant que dans tous les pays où règne le néolibéralisme on assiste à une fracture sociale historique, à une généralisation de la paupérisation, à un endettement des ménages inimaginables y compris chez ceux réputés pour leur courage et leur surcapacité à l’effort.
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Qui a dit «Il faut remettre la France au travail» ? Jean-Pierre Raffarin, Ernest-Antoine Seillière, Nicolas Sarkozy, Laurence Parisot ou Ségolène Royal ? Ils l’ont tous asséné un jour ou l’autre, avec, bien entendu, quelques nuances entre eux, mais ils ont été devancés, et de beaucoup, par le radical Édouard Daladier, devenu président du Conseil sur fond d’émiettement du Front populaire et au prix d’une alliance avec les partis de droite. Fin août 1938, il était devenu urgent, estimait la bourgeoisie, de «remettre la France au travail», de redonner le goût de l’effort et de revaloriser le mérite chez des Français «débauchés» par les congés payés et par la semaine de travail à 40 heures. Une semaine plus tard, un décret rendait obligatoires les heures supplémentaires dans les usines travaillant pour la Défense nationale. Une première brèche dans les conquêtes des luttes sociales de 1936, le couvercle verrouillé sur une cocotte de liberté, admirablement chantée par Jean Gabin dans la Belle Équipe de Julien Duvivier : «Du lundi jusqu’au samedi, pour gagner des radis/ Quand on a fait sans entrain son boulot quotidien/ Subi le propriétaire, le percepteur, la boulangère/ Et trimballé sa vie de chien/ Le dimanche vivement, on file à Nogent/ Alors brusquement, tout paraît charmant/ Quand on se promène au bord de l’eau…»
Une victoire idéologique du patronat. C’est un paradoxe en trompe-l’oeil : après la victoire de Chirac en 2002, Jean-Pierre Raffarin place d’emblée au centre de la politique de son gouvernement la «réhabilitation de la valeur travail». «L’avenir de la France, ce n’est pas d’être un immense parc de loisirs, l’avenir de la France, c’est de travailler», ânonne le premier ministre sous les applaudissement s du MEDEF. Cinq ans plus tard, les deux principaux prétendants à l’élection présidentielle, en posture de «rupture», se disputent âprement le même «concept», déclenchant les hourras du même patronat.
Entre le PS et l’UMP, la bataille est déclenchée, mais cela ressemble furieusement une guerre dans les mots. Quand, sous couvert d’augmenter le pouvoir d’achat, Nicolas Sarkozy préconise de poursuivre la dérégulation du temps de travail, Ségolène Royal, avant d’avoir finalisé son programme, n’écarte pas de suivre cette pente : «Des assouplissement s (à la législation sur les 35 heures) ont déjà eu lieu, affirmait-elle lors de la campagne interne du PS. Peut-être faut-il aller au-delà pour que ceux qui veulent travailler plus puissent le faire, mais je trouve scandaleux les chantages à l’emploi auxquels des entreprises se livrent pour remettre en cause des accords de RTT. Le vrai sujet serait de pouvoir moduler le temps de travail selon les étapes de la vie. Je ne crois pas aux réponses rigides une fois pour toutes mais aux évolutions négociées.» Plus globalement, dans ses incantations sur la «valeur travail», la candidate socialiste mobilise, et c’est significatif, le registre lexical du management quand elle pousse à faire des «choix gagnant-gagnant» ou quand elle évoque la nécessité selon elle de «coacher efficacement les demandeurs d’emploi».
Des boules puantes contre les chômeurs. Dans leurs discours sur la «valeur travail», Nicolas Sarkozy et, dans une moindre mesure, Ségolène Royal dépeignent soigneusement un pays divisé entre «travailleurs» et «assistés», embourbé dans une profonde «crise morale». Ces relents populistes ramèneraient presque à la «débauche» fantasmée par les réactionnaires lors du Front populaire… Devenu depuis un des proches conseillers de Sarkozy pour la rédaction de son programme, Nicolas Baverez livrait en 2003 dans les colonnes d’un journal gratuit un échantillon du racisme social toujours prégnant : «Le temps libre, c’est le versant catastrophe sociale. Car autant il est apprécié pour aller dans le Lubéron, autant, pour les couches les plus modestes, le temps libre, c’est l’alcoolisme, le développement de la violence, la délinquance, des faits malheureusement prouvés par des études.»
L’arbre du mot cache la forêt des maux. Malgré le recours systématique à leur nouveau mantra de «valeur travail», les deux principaux candidats passent à côté de l’essentiel. Ni Ségolène Royal ni Nicolas Sarkozy n’évoquent à aucun moment la dégradation du travail tout court. Pendant que Laurence Parisot, la présidente du MEDEF, propose d’instaurer la «séparabilité» afin de jeter aux orties le droit du licenciement, les salariés paraissent, eux, éprouver la tentation de la sécession au coeur même des entreprises. Dans un contexte de chômage de masse, de désindustrialis ation, de modération salariale et de précarisation de l’emploi, l’UMP comme le PS refusent de voir combien, aux yeux de bon nombre de salariés - des ouvriers et employés aux cadres -, la valeur du travail a été sapée par son «intensificatio n» : en exigeant de la «réactivité», en chassant les «temps morts» sur les postes de travail, en généralisant la «polyvalence» et la «flexibilité», en accroissant les procédures de contrôle, en réquisitionnant le corps et aussi l’esprit de leurs travailleurs par le biais d’un nouveau management dit «de l’affect», en développant les pratiques de notations individuelles ou encore en établissant des relations directes avec les clients, les entreprises ont exigé de leurs salariés plus d’efforts, plus de «qualité», plus de disponibilité, plus de responsabilité et plus de rentabilité… Et cela, alors que, dans le même geste, la plupart du temps, elles leur déniaient toute reconnaissance, même symbolique, de crainte d’avoir à recruter ou à augmenter les salaires…
Les indices de cette crise à l’intérieur du travail ne manquent pas, mais même quand ils prennent des tournures dramatiques (suicides, maladies professionnelle s, accidents du travail), ils demeurent largement absents des «préoccupations » avancées par le PS et l’UMP dans la campagne électorale. C’est cet ouvrier d’une fonderie ardennaise qui raconte ses rêves de fuite tant le goût du travail bien fait a été enseveli sous les diktats contradictoires de la direction ; ce sont ces employés d’American Express à Roissy qui se lancent dans une grève de dix jours pour dénoncer des «pratiques managériales» ayant conduit à une vingtaine de démissions en moins d’un an ; ce sont les salariés des hôtels Accor qui rechignent à exprimer leurs «qualitudes» selon le néologisme confectionné par des as du coaching ; ce sont ces cadres supérieurs qui, en masse (et, en tout cas, au-delà du nombre d’emplois supprimés), chez HP ou Neuf-Cegetel, «profitent» d’un plan social pour filer à l’anglaise grâce au guichet des «départs volontaires» ; ce sont les syndicats d’IBM ou encore de Microsoft France qui dénoncent les niveaux de stress faramineux induits par des systèmes de notation et de rémunération…
Une nouvelle question sociale. Toutes les enquêtes statistiques sur les conditions de travail le démontrent, le travail pénible perdure, voire s’accroît pour les ouvriers, pour les femmes et les jeunes. Et qu’en disent Royal et Sarkozy ? Rien, ou si peu ! Au printemps dernier, les étudiants étaient, avec leur slogan «Le CPE, ce n’est pas mieux que rien, c’est pire que tout», parvenus à mettre la question du contenu du travail flexible au coeur du débat public. Face aux concours d’envolées lyriques sur la «valeur travail» qui bat son plein, il n’est sans doute pas inutile de repartir de là, de cette nouvelle question sociale au coeur de la vie quotidienne des Français qui sont au travail ou qui demeurent cantonnés dans ses marges.
(Source : L'Humanité) Répondre | Répondre avec citation |